Fransoize

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Proses diverses

Proses diverses

 

 

 

Curriculum vitae

 

La Bruffière, déc. 2008

 

Là où il fait bon vivre

 

     Je m'appelle François. Ca ne vous fait rien, ni chaud ni froid, je suppose.Je ne cherche rien, pas de travail, étant donné que je n'aime pas me lever le matin avant dix heures trente et que vos horaires sont incompatibles avec mon équilibre vital. L'agence pour l'emploi ne m'a rien demandé d'autre que de vous appeler ou de vous envoyer mon CV, avec amabilité et respect.

 

   Je vous prie donc, cher Monsieur de bien vouloir m'excuser. Rien, je ne sais rien faire, que rêver, et quand je dis rien, vous savez bien que ce n'est pas grand-chose.

   Si je vous propose de ne rien faire chez vous, vous me direz que vous n'avez rien à faire de ma proposition, ni chez vous ni ailleurs. Donc, vous refuserez de m'employer. Vous serez bien aimable parce que ne rien faire chez soi, c'est agréable alors que ne rien faire d'agréable au boulot, c'est épouvantable pour moi et impardonnable pour vous.

   Ceci dit, je parle ici pour ne rien dire puisque je n'attends rien. A la rigueur, je peux chanter "Non, rien de rien, non, je en regrette rien...' Pas même cette lettre de rien.

   Enfin, bref, rien à faire, je ne sais plus quoi dire, et en bon, bon à rien. Je ne vous adresse rien, que la pensée amicale d'un vaurien qui ne demande rien, surtout pas de réponse.

 

  Avec mes remerciements anticipés pour votre compréhension, je vous prie, cher monsieur, de bien vouloir accepter l'epression de mes sentiments les plus sincères.

 

François X....




                             Voyage
 
 
                        REIMS – ST-AIGNAN sur CHER    Juin-Juillet- Août 1944
 
         La rue de Clairmarais à Reims est à moins de 500 mètres du centre ville. Pour aller au bureau, René longe la voie ferrée, traverse les Promenades et arrive directement à coté de la Place d’Erlon. Il a été démobilisé en 1942 à cause de son âge (37ans) et a repris son métier d’agent d’affaires (on dit aussi agent immobilier, c’est nouveau)
          La guerre pourtant, est loin d’être terminée, et les avions Allemands lancent parfois des bombes, aux alentours de la gare. On les sent énervés, comme des moustiques par temps orageux, piquant pour piquer, n’importe où, n’importe quand ! Que se passe t’il exactement en Normandie pour les exciter de la sorte ?
          On a entendu dire que les Américains avaient débarqué sur la côte et qu’ils gagnaient du terrain dans l’intérieur des terres. Les détails viennent au compte goutte et évoluent du jour au lendemain
 
          Un   soir vers 20 heures, René avait entendu une explosion toute proche et se pressait sur le chemin de la maison. Derrière la gare, auprès de rails déchiquetés se trouvaient, dans une sorte d’épais brouillard, cinq jeunes gens. L’un d’entre eux s’éloignait en sautillant, un autre attendait des secours, assis, hébété. Deux semblaient endormis. Le dernier pleurait. René s’était assis près de lui, l’avait pris dans ses bras. Quel âge avait-il ? 14, 16, 18 ans ? …..Ses yeux ne regardaient rien ; il pleurait et murmurait « maman…..maman …. » bredouillant ensuite des mots inintelligibles. René aurait aimé le réconforter, le réchauffer ; il lui tenait la main, tiède et inerte. L’enfant ne sentait plus rien «  maman…maman… »  « Je suis là mon petit, ne pleure pas, viens, maman va arriver ». Puis  ce petit bout d’homme ferma les yeux et laissa retomber sa tête.
        René ne se souvient ni des curieux, ni des secours. Il se disait « Foutue guerre !   Alberte doit être inquiète ! »
 
        Il n’a fallu que peu de  temps pour que les rails retrouvent leur alignement et les trains reprennent leurs voyages mais l’ambiance de la ville n’est plus la même.
 
        Quelques jours plus tôt, Alberte courait vers la maison, impatiente. René n’était pas encore rentré. Mais, qu’est ce qu’il pouvait bien faire ! Il fallait lui dire tout de suite, partager ça ! Le gynécologue avait dit «  enceinte – deux mois au moins    »  ça n’était pas prévu ! Pour se réjouir, il fallait être tous les deux. Mais il avait dit aussi « Madame, si vous pouvez, partez ! partez  pendant qu’il en est encore  temps, sinon vous accoucherez sous les bombes !»
 
               L’ombre d’un jeune garçon plane au dessus d’eux.
 
               Le 15 Juin, la gestapo entre à la mairie et menotte le maire, Henri Noirot, ainsi que les personnes qui se trouvent avec lui, on ne sait pas encore qui. Tout le monde a peur, il y a des Allemands partout qui patrouillent. Ils recherchent, paraît-il, des chefs maquisards.
 
               Le 22 juin, des bombardements en plusieurs endroits de la ville font de nombreuses victimes civiles. Alberte et René se cachent sous la table en chêne de la salle à manger. Alberte a très peur, René essaie de ne rien montrer.
 
               Le lendemain, ils décident de partir avec deux vélos, deux valises (en cette saison, il ne fera jamais très froid) et ce bébé qui semble déjà bien lourd dans le ventre de sa maman.
 

Jour1


        Départ un matin ensoleillé. Cela ressemble de loin à une promenade mais les yeux, les oreilles, tous les sens sont aux aguets. Sortir de la ville sans croiser d’Allemands n’est pas garanti. Certains ne semblent pas méchants mais d’autres font peur, parfois ils font feu.
        Au bord du canal, il y en a bien quelques uns mais assez loin et beaucoup de monde circule en ville.
        Les voilà sur la route de Cormontreuil. Alberte pédale sur le plat et récupère dans les descentes, mais à chaque côte, René prend les deux vélos et Alberte suit à pied.
 
        Le choix se porte sur un trajet sud. Il faut éviter d’une part la nationale, d’autre part  la caserne de Mourmelon au Nord, et les alentours de Rilly la montagne où une troupe allemande a installé un campement .
        4,5km, Cormontreuil, 15km  Louvois, il y a du monde à pied sur les routes, les moyens de transport sont rares et on garde l’essence pour les besoins urgents. 8km, Condé, 6,5km, Juvigny, 2km , bords de Marne, petit rafraîchissement, la route est soigneusement étudiée par René qui ne laisse rien au hasard, du moins, pour l’instant.13km Coolus. René  prononce Coulus, Alberte se moque de sa prononciation, mais la fatigue se fait sentir et ils pensent s’arrêter bientôt.
 
        Après les haltes pipi, les haltes casse-croûte,  les haltes tout court c’est Stop. Quelques kilomètres pour trouver une ferme sur le bord de la route avec une grange à demi remplie de foin frais coupé. Les hommes sont au front, les femmes ont fané pour nourrir les bêtes.
 
        36 km. Pour un premier jour, c’est bien, et le foin sent bon. De plus, il est moelleux pour s’y reposer. Seulement voilà ……il y a du foin sec qui s’amuse à traverser les lattes du vieux bois au dessus de leurs têtes. Un petit brin par ci, un petit fétu par là …un sur la joue, un sur le front ….La fatigue l’emporte quand même et c’est bien après le chant du coq qu’ils se réveillent après un sommeil entrecoupé d’éternuements et de démangeaisons.
 
 
 
Jour2
 
        En route ! Le mollet est dur, l’estomac crispé sur un morceau de pain sec, Alberte n’a pas pu avaler du pâté dès le matin, René, Si. Mais à la guerre comme à la guerre, ils enfourchent les vélos. La pluie menace.
 
        13km, Mairy, 6km, Aulnay l’Aître, après avoir traversé la Guenelle et la Marne. Il faut éviter Vitry le François et passer au dessus. 12km, Changy, ils vont s’arrêter avant Heiltz le Maurust, en pleine campagne. Une petite ondée plutôt rafraîchissante  a fait déraper le vélo d’Alberte et sa robe est tachée et humide du coté du garde boue…. René tient bon. C’est un sportif mais cette fatigue de sa femme commence à l’inquiéter.
 
        Ils sont amusants tous les deux, René gère l’intendance et Alberte suit, confiante. Ca lui semble un peu long, ce voyage, et les nausées deviennent plus fréquentes. Il faudrait une bonne nuit de repos pour entamer la dernière journée avant Savonnières.
        Une ferme, encore cette nuit, un grange encore, la maîtresse des lieux les accueille et leur donne une couverture supplémentaire et le lendemain matin, arrive avec un bol de lait chaud et du gros pain frais... Ca sent bon la France !!!
 
        Le pain frais, ça ne sera malheureusement pas tous les jours. René a pris de l’argent en prévision. Les routes traversent de petites villes où le café ou l’épicerie sont ouverts. Un peu de pain, un peu de lait, quelquefois des fruits et des nouvelles des soldats...
 
          Il n’est pas facile de savoir ce qui se passe sur le front. Les camions allemands foncent dans les deux sens. Certains partent vers l’ouest sans doute pour renforcer les défenses en Normandie, on entend parler de bombardements sur Caen. D’autres vont vers le centre, ceux là font peur, ce ne sont pas de simples soldats, ils ont la gâchette facile et bousculent les passants. Mieux vaut se cacher quand on entend au loin le bruit des motos qui précèdent  les camions.
 
         Le premier but du Voyage c’est de rejoindre des amis à Savonnières en Perthois. Roger et Denise les ont déjà ravitaillés plusieurs fois à Reims. Roger venait en ville pour son travail et leur apportait légumes et fruits, parfois un lapin ou un poulet. Roger travaille dans une carrière de pierre pour la reconstruction des maisons.
 
       Alberte est épuisée. Ce bébé lui donne des nausées et elle n’est pas habituée à faire du vélo aussi longtemps. Il y a aussi  la peur, quand un avion rugit au loin, il faut jeter les vélos dans le fossé et se faire le plus petit possible, le nez dans l’herbe et les mains sur les oreilles. Repartir devient chaque jour plus difficile. Près des villes, la peur, c’est le bruit des camions, des motos et même parfois des bottes. Dans la campagne, la peur, c’est les avions.
 
Jour3
 
        6,5km Maurupt, 20km, Beaudonvillers, 6km, La Houpette, et enfin, 4,5km, Savonnières en Perthois
        Il était temps, Savonnières, enfin, c’est les bras chaleureux  des amis. Alberte se couche en arrivant et on appelle un médecin qui lui conseille de rester allongée quelques jours.
        Heureuse trêve pour la maman, le bébé…..et le papa !
La campagne souffre moins des rigueurs que la ville et la nourriture, sans être trop copieuse, est abondante et revigorante.
        Le vélo n’était pas l’idéal pour aller si loin, il va falloir trouver d’autres moyens.
        Qu’à cela ne tienne, il y a des trains !  Il y a des gares à Dijon, à Langres, à Vierzon…..
 
Jours4-5-6-7-8-9-10-11
 
        Ils vont rester 8 jours à se laisser dorloter et à reprendre des forces. Roger et René étudient les cartes routières et les voies ferrées en changeant le programme initial, direction Prauthoy et la famille de René.
 
Jour12
 
        Déchirements, embrassades……Denise a prêté une robe à son amie. Le tour de taille s’est élargi et les robes de Denise sont amples….les bonnes vieilles culottes blanches, bien grandes sont aussi les bienvenues, ça fait rire Alberte, plutôt coquette de nature.
Les voilà repartis, les sacoches pleines de vivres pour plusieurs repas.
        14km, Sommerville, il faut longer le canal jusqu’à Mussay sur Marne, traverser la Marne et le canal vers Donjeux. Là, il y a 34km pour atteindre Rimaucourt. C’est trop. Alberte a perdu l’entrain du matin et René ne dit rien mais ces quelques jours de repos lui ont fait perdre l’entraînement.
        Heureusement, le temps n’est pas trop mauvais et la traversée du bois de Chimarmont les enchante. Il n’est que 5heures mais la découverte d’un cabanon de chasseur leur semble digne d’un conte de fée.
        Le petit lavabo de la maison leur manque cruellement. René, à chaque halte, s’efforce de trouver de l’eau pour la toilette. Dans les fermes, il y a des puits, mais là, tant pis pour la saleté et la transpiration. Ils dormiront avec.
 
Jour13
 
        Serrés l’un contre l’autre, ils ont bien dormi. Loin des villes et des grandes routes, le bruit des avions se fait plus rare et l’on ne courbe pas le dos au moindre bruit. Les provisions de Savonnières les ont rassasiés. En route pour Rimaucourt et sa gare !
 
        Il est 10 heures 30, ils n’ont eu que 12km à faire et il n’y a personne dans la gare qui de plus est fermée. Un tour par la droite, un tour par la gauche, rien ni personne. 2km avant d’arriver, ils ont franchi un passage à niveau. Qui dit passage à niveau dit garde barrière.
        René reprend la route et revient une heure plus tard accompagné d’un homme en uniforme qui leur ouvre le bâtiment  en s’excusant « vous comprenez, le prochain train est à 17heures 19…..Si- il- passe ! Mais entrez, vous serez au moins au chaud. » Il ne s’est pas inquiété plus que ça et après un petit salut et un regard pour le ventre qui ne se cache plus, il a lancé un « Bonne chance, m’sieur-dame »
 
        Il n’y a rien dans cette gare, que deux bancs et un guichet derrière lequel traînent quelques papiers. L’idée de prendre un billet leur semble bizarre. Où ? Et à qui ?
        Après un temps de repos, ils font une petite balade dehors, mais sans s’éloigner des vélos. On ne sait jamais. Ils n’ont pas croisé tant de monde sur les routes mais il suffirait d’un mauvais rôdeur.
 
        17h19, le train est à l’heure, c’est burlesque, il s’agit d’un train de marchandises. Un vélo, deux vélos, Alberte, René, les voilà partis pour Chaumont. Les 23 km ont pris plus d’une heure.
        Il fait froid dans la gare de Chaumont à cause d’un courant d’air, mais tant pis, il faut dormir là. Il y aura bien un train demain pour Langres.
 


Jour14
        Vers 11heures, un chef de gare arrive, un train est prévu dans 5minutes.
Hélas, le train s’est perdu en route, il n’est pas passé. Un autre est prévu dans l’après midi, le brave homme vend donc 2 billets. Ça rassure d’avoir les billets, mais quand on ne sait ni pour quel train, ni pour quelle heure, c’est moins drôle.
        Un peu après 13h, crissements de freins sur les rails, le chef de gare fait signe vite, vite, c’est encore un train de marchandises. Qu’importe !
Ce train là roule un peu plus vite et met moins d’une heure pour faire les 35km.
        Langres-Langres…..on y est. 
Dégringolade des vélos dans la précipitation, on approche du but.
La fatigue morale fait reculer la prudence, départ sur la nationale.
    Ils vont croiser une dizaine de camions Allemands bâchés. Qu’y a-t-il dedans, des hommes, des armes, des je n’sais quoi ? Personne ne s’inquiète d’eux.
        Jusqu’à Prauthoy, ça descend plus souvent que ça monte. 22km et voilà la famille accueillante qui voit passer de nombreux réfugiés et les aide de leur mieux.


 
Jours15 et 16
 
        D’abord, des nouvelles de tous. Georges, au Maroc, le grand père, resté à Reims, les cousins…On sort des lettres, des photos. Une journée entière pour se rassurer les uns les autres. Il y a des proches sur le front.
        Le deuxième jour, on réalise la grossesse d’Alberte et le reste de chemin à parcourir. Revoilà les messieurs étudiant les trains qui s’arrêtent à Prauthoy.
 
        Il y en a un à 15h, ou dans ces eaux là, et qui va jusqu’à Dijon !!.


 
Jour17
 
        Rien de particulier. Après des accolades chaleureuses, le train de voyageurs a emporté Alberte, René et les vélos sur 44km jusqu’à Dijon.
        Des uniformes Allemands se montraient parfois dans le couloir, mais ils ne regardaient personne en particulier et les passagers se faisaient tout petits.
        Dijon est une grande ville et où voulez vous aller avec 2 vélos. Le mieux, une fois de plus, c’est de rester dans la gare en attendant un nouveau train.
Pour ce soir, il suffit de trouver un petit coin tranquille. Pas si facile que ça, l’endroit grouille de monde, des sacs, des ballots, des valises, des poussettes remplies d’objets personnels s’entassent un peu partout. Alberte est attirée par une odeur de fruits. Là bas, dans une salle attenante, des centaines de cageots de pêches attendent un train hypothétique pour Paris. C’est là qu’ils vont s’installer. Alberte se gave de fruits, de toute façon, la plupart seront pourris avant d’arriver à destination. Nos voyageurs n’ont jamais souffert de la faim avec les provisions glanées en route, mais des fruits frais, c’est du bonheur.
        Nuit parfumée, enveloppés dans une couverture, sur un sol dur et plutôt frais.


 
Jour18
 
        Aujourd’hui, pas un seul train ne partira de Dijon. Inutile d’attendre. Voilà nos amis à la recherche des cousins Buiron. Se repérer dans la ville n’est pas une mince affaire, et ces Allemands qui sont partout font toujours peur. Certains regardent Alberte et son ventre avec un sourire triste. Sans doute pensent ils à leurs épouses et à leurs enfants.
 
        Enfin, une porte s’ouvre sur des visages heureux de les voir. Cette nuit, ce sera dans un bon lit chaud.
 


Jour19
 
        Un train part vers l’ouest dans la matinée. Si tout va bien, il va jusqu’à Epoisses à 100km environ.   Si tout va bien….
 
         Tout va….. Bien, c’est beaucoup dire. Le ventre arrondi d’Alberte lui permet d’avoir une place assise et les gens la regardent avec pitié, sinon avec bienveillance.
        Le train s’est arrêté plusieurs fois en rase campagne, les avions l’ont survolé quelque temps, des tirs de bombes ont résonné pas très loin, puis le train est reparti parfois lent comme une tortue, parfois crachant le feu comme s’il allait exploser.  
        Epoisses terminus. René suit sur sa carte la route à suivre pour trouver une autre gare plus loin. A moins de 10km, Ragny peut les sauver, mais il ne sera pas possible d’aller plus loin aujourd’hui.
        Dormir dans une gare est devenu courant. La gare de Ragny est toute petite et bien fermée ; d’autres personnes attendent également, deux personnes âgées et un couple avec un enfant sale comme un petit cochon, mais très drôle.


       
Jour20
 
        En route pour Clamecy, 90km
Le train est bourré, des gens debout, d’autres assis par terre, on ne peut pas bouger, mais ce train avance tranquillement, régulièrement et son ronron est bienfaisant. Nos amis ont perdu la notion de l’heure d’autant plus que René a oublié de remonter sa montre. Chacun somnole en rêvant à d’autres voyages
 
        Clamecy on change de train. Surprise, il y a une correspondance pour Entrains, à 28km. En route.
        Entrains, c’est un trou pour nos voyageurs. La gare ne les tente pas, et puis il n’est pas tard. En selle !
        Ils ne vont pas faire les 30km qui les mènent à Cosne Cours. Une ferme à mi chemin leur procure un asile bienvenu.
        Alberte fait peine à voir, la fatigue se lit sur son visage et les hôtes les font rentrer au chaud pour partager une bonne soupe, et un verre de rouge pour René.
 


Jour21
       
          Un camion ! Alberte se précipite pour l’arrêter, elle n’en peut plus de pédaler. René cherche à la freiner dans son élan, ce sont des Ennemis et nous sommes en guerre…..Elle a du mal à réaliser. Le chauffeur la regarde et avec un sourire contrit fait « non » de la tête. Le camion repart et René serre sa femme contre lui. Il a cru …il ne sait plus ce qu’il a cru, mais la vie s’est arrêtée de circuler en lui pendant quelques secondes, quelques très longues secondes.
 
        A Cosne Cours, il y a une gare. Il y a un train vers le nord, un jour et un vers le sud le lendemain. Coup de chance, c’est le train pour la Charité sur Loire qui se présente ; vive la charité sur Loire !
        A la descente du train, un hôtel attire les regards. Une nuit à l’hôtel, ça ne peut pas faire de mal.
        Seulement voilà, dans la chambre d’à coté, un groupe d’Allemands fait la fête. Ils chantent divinement bien mais pour dormir, ce n’est pas évident. Visiblement, ils s’enivrent et leurs voix vacillent au fil des heures..le plus surprenant c’est le bruit des bottes qui rythme les chants
        Il est à peine 5 heures quand René décide de prendre le large. Alberte a dormi un peu, ça devrait aller.
 
Jour22
 
        45km en vélo, ça fait un bout pour quelqu’un qui a mal dormi, mais la nature est belle, il fait bon et les chansons de la nuit ont laissé un souvenir mitigé, pas totalement négatif. Alberte chantonne. Et puis, on approche du but, et ça, ça donne des ailes. Sur la route, des champs entiers de pêchers et de brugnoniers attisent la gourmandise d’Alberte. La voilà qui lâche le vélo et court tâter les fruits et déguster les meilleurs. René  s’affole, si un avion passait, elle serait une cible parfaite.
        Ouf, elle a mangé quelques fruits puis est revenue au bord de la route. Il est stupéfait qu’elle n’ait jamais peur. On ne peut pas dire qu’elle n’a pas peur, elle ne se fait pas fière, mais elle sent près d’elle une épaule rassurante et solide.
        La gare de Villemenard près de Saint Germain du Ruy les accueille avec l’espoir d’un train pour Vierzon.
 
        C’est un train de nuit. Les vélos sont enfermés dans un wagon, les passagers dans un autre. Il règne une ambiance de crainte. Peut-être tout simplement parce qu’il fait noir. Alberte a enfilé un gilet et son imper pour se réchauffer, pour se rassurer aussi.
        Vierzon. Les vélos sont bloqués dans leur wagon. Impossible de les récupérer. Il est 23heures et l’idée de dormir dans la gare ne les enchante guère. René pense à ce lointain cousin dont ils ont régulièrement des nouvelles.
        Les périodes sombres ont ceci de beau, qu’elles développent le sens de l’entraide. Les cousins ouvrent leur porte, leur garde manger et leur salon.
        Nos voyageurs apprennent que la bataille fait rage à l’ouest sur Caen et qu’en représailles, les allemands  arrivent en masse dans le Cantal et alentours, opérant un ratissage à la recherche des chefs de la résistance, puis  après un repas de tartines de rillettes arrosé de vin blanc, ils ont droit à un vieux canapé défoncé dans lequel ils croyaient ne jamais pouvoir s’endormir…
                                  Ils ont dormi comme des loirs.
      


Jour23
 
        Vierzon
Il ne reste que 60 km à faire et c’est en camion (les cousins connaissent le frère du père du gars qui conduit 2 fois par semaine un chargement à Tours) qui les emmène. On croise des camions allemands, où vont-ils ? Pas facile de deviner. Le chauffeur raconte ce qu’il sait…
        Tiens, on vient de doubler une charrette tirée par un cheval. Ce sont aussi des réfugiés avec des meubles, un matelas, on dirait toute une vie dans une simple charrette. Qu’est il arrivé à leur maison ? A leur famille ?
 
        René s’enhardit à demander au chauffeur ce qu’il transporte. « Du bois ! » L’autre n’est pas bavard, rendre service, d’accord, avec le sourire, d’accord, mais raconter sa vie, pas question !
        Voyageurs presque à destination. Noyers est en vue. Un groupe d’hommes fait signe au chauffeur. Un peloton de soldats ennemis arrête tout ce qui passe au « Bœuf couronné ». Ils n’avaient pas été inquiétés jusqu’à maintenant. Par prudence, le chauffeur stoppe avant la chapelle Saint Lazare. Sur la gauche, une rue basse rejoint le bourg de Saint Aignan.
        René descend derrière Alberte, il cramponne toujours les valises. D’autres personnes courent se cacher derrière la chapelle. Que se passe t’il ?
        Tout le monde court, les Allemands avec le brassard SS arrivent, stoppent leur véhicule et tirent. Un homme s’effondre. La stupéfaction se lit sur les visages. Ça n’a duré que quelques minutes. Les soldats viennent voir le corps à terre et sans un mot, s’en vont.
 
        500mètres de route à pied amènent nos amis, les jambes flageolantes, au pont sur le Cher. Premier bras de rivière, deuxième bras, la barrière de démarcation de 1942 est toujours en place. Elle est fermée mais non surveillée, les Allemands ont passé le Cher et sont partout.
        Voila la rue où habite Paul Boncour, la rue qui monte et enfin la rue Rouget de Lisle.
L’atelier, fabrique de meubles fonctionne. On entend le bruit des machines. Le magasin est fermé, celui de la place est peut-être ouvert, mais la porte de la maison s’ouvre en grand.
        Quelqu’un vient de dire à la mère Adeline que sa fille était sur la route.
 
        Dans cette maison où elle est née, Alberte se repose.
Sa maman a ouvert une cantine dans le magasin. Certains soldats allemands cantonnés à St Aignan depuis de longs mois, viennent parfois y manger. Ils n’ont rien d’agressif. Alberte leur montre des photos de son frère, prisonnier en Allemagne et eux montrent à cette future maman des photos de leurs enfants restés au pays
        Dans une salle attenante, les habitués du bourg jouent aux cartes.
 
Le 4 Août, les vélos sont renvoyés à la gare de St Aignan-Noyers par la SNCF
        Ce même jour, Alberte perd un beau frère, de phtysie. Les bombardements sur Tours et Blois ne lui ont pas permis d’être soigné à l’hôpital.
 
        René suit les événements, ça commence à être bien long !!
Va-t-on en finir un jour avec cette guerre ??
 
L’atelier fermé à leur arrivée était en fait rempli de tous les lits de la fabrique afin d’héberger les nombreux Parisiens qui fuyaient, certains vers le Sud, d’autres qui remontaient chez eux espérant une fin prochaine des hostilités.
        Petit fait divers : une Parisienne de passage était descendue à la cave par simple curiosité et avait constaté avec terreur la présence de nombreux cercueils. Il lui avait fallu un certain temps pour comprendre qu’ils étaient vides et neufs.
 
Au mois d’Août, le général Patton continue son avancée, Dinan, Rennes, Vannes, Le Mans, Chartres puis Dreux.
 
        Le 25 Août, Paris est libérée et les maquisards creusois emportent des victoires
 
        Patton avance sur l’Aisne. René doit retourner à Reims.
Il pense laisser sa femme en sécurité.
                
        Le 31 Août, 2000 soldats allemands sont signalés en ravitaillement à Mareuil
        Un officier SS excédé par les nombreuses attaques contre ses hommes, qui ont lieu dans les alentours fait irruption à Mareuil avec une troupe de soldats armés, en vélo.
 
 
 
Il menace de détruire et de brûler la ville. Heureusement, le général de la Wehrmacht en position à St Aignan depuis plusieurs mois l’en dissuade.
        Des représailles vont s’en suivre dans la région avec la mort de plusieurs résistants et de nombreux civils.
        Chacun s’efforce de rester chez soi car le danger est partout.
 
        Septembre et Octobre voient la France se libérer petit à petit bien que des poches de guérillas entre SS et partisans fassent la une des journaux qui recommencent à circuler.
 
        Le 2 Novembre, le père d’Alberte, âgé de 75ans, meurt d’une attaque cérébrale et moi, Françoise, fille d’Alberte et René, je débarque en grandes eaux le 16 Novembre avec un mois d’avance.
 
        Trop tard certes pour faire la connaissance de mon grand père, mais je vais…. voir mon oncle Robert revenir d’Allemagne où il a travaillé dans une ferme pendant plusieurs années,
            Voir naître mon cousin le 6 mars 45, petit garçon sans papa, mais compagnon de mes jeux pour de longues années et
             Voir la fin de ce conflit le 8 mai 45 à Reims, ville à reconstruire,  où je viens de rentrer…chez moi, et
                                                Vivre.
 
 
                                                  Françoise Clément-Croué  Février 2011
 
 
 
                         
 
 
 
 
       
 
       
 
 
       
 
      



21/02/2011
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