Fransoize

Fransoize

Henri Clément (poème et pages autobiographiques)

Si je vous disais...

Si je vous disais, sans crainte ni trêve,
Tous les noms charmants que dans chaque rêve,
Plein de désirs fous,
Je donne en riant à celle que j'aime
Belle comme vous - peut-être à vous-même! -
Me gronderiez-vous?

Si, pour dissiper toute l'atmosphère
Des jours où le coeur trop seul se consume
A ne savoir où
Porter la pensée, - une céleste tendresse
Vous offrait aussi la chaude caresse,
L'accepteriez-vous?

Si je vous disais toutes les pensées
Que suscite en moi dans chaque journée
Le gentil frou-frou
D'une robe quand, par un clair dimanche,
C'est vous qui passez sur la route blanche
En souririez-vous?

Si vous deviniez quel baume m'apporte
Votre présence au seuil de votre porte
Aux heures surtout
Où vient m'envahir l'âpre nostalgie
Des bonheurs perdus et des joies finies
Y viendriez-vous?

Si, quand je vous vois et je vous salue
Vous deviniez que vous êtes l'élue,
Si le sort jaloux
Dévoilait ainsi mon secret intime
Et le sentiment tendre qui m'anime,
M'en voudriez-vous?


Heuilley-le-Grand
Le pays natal


   Un pays banal comme tant d'autres, mais qui a sur tous les autres cette supériorité d'être le mien, d'avoir été le cadre où sont nées mes premières impressions d'existence, où se sont développées mes premières et puériles ambitions, et qui a été le témoin des joies bien rares et des multiples douleurs que la vie m'a réservées; un pays banal, et par cela même, à force d'habitude, m'a fait découvrir mille petits coins pittoresques cachés au passant, tout en me mettant en garde contre des enthousiasmes trop hâtifs et exclusifs dans mes déplacements incessants.
   Il m'est cher,également, par les traditions d'hospitalité, d'entraide, de générosité qui lui donnèrent une notoriété quasi régionale de bon aloi, et le firent citer, au loin, comme un pays de réelle fraternité et de mutuelle assistance.
   Parce qu'enfin il me fit découvrir des trésors de bonté enclos dans l'âme paysanne, tant calomniée, et qu'il me procure cette fierté que je garde d'être issu de cette souche qui forme le plus pur sang de France. Pourquoi faut-il que des événements d'ordre général et surtout certaines influences personnelles aient gâté ces dispositions naturelles de désintéressement de toute sa population, sauf exceptions assez rares, et m'empêchent aujourd'hui d'y trouver la paix reposante, la sympathie absolue, spontanée que j'y avais trouvées il y a 30 ans en pareilles conditions?
   Je rassemble ici, épars et sans ordre, ni de date ni de nature, mes souvenirs confus, en essayant de leur donner, avant qu'ils soient noyés dans la brume de la mémoire infidèle, leur forme précise, leur caractère d'exactitude. Ainsi ma jeunesse se représentera vivante à mon esprit, avec une fraîcheur d'impressions qui rapprochera l'aube de ma vie de son déclin en me procurant le délicieux parfum des choses bien chères retrouvées.
   J'y joindrai autant que possible et dans la mesure où ma mémoire, aidée par des notes matérielles, ne faillira pas, des détails chronologiques, administratifs, commerciaux, politiques, etc... par quoi se manifestent les préférences et les passions humaines. Ce sera la "couleur", si je puis dire, du dessin que je vais entreprendre. Et mes enfants y trouveront peut-être quelque intérêt, quoique, en raison de leurs (résidences...?), ils n'auront pas, comme moi, aussi profondément (passé) dans l'imagination, les reliefs pittoresques, au double point de vue matériel et philosophique, du cadre fixe où leur âme d'enfant s'est développée


La maison


   Bien que située en plein centre du pays, elle n'était, à ma naissance qu'une masure couverte de chaume. De qui mon père et ma grand mère la tenaient-ils? J'ai entendu raconter, sauf vérification et mise au point, que les occupants qui ont précédé immédiatement mes grands parents, étaient tous morts (cinq, je crois) en une semaine dans le courant d'août 1854. C'était l'année où le choléra fit en Haute-Marne et particulièrement à Heuilly-le-Grand tant de victimes. 83 décès, tel fut le terrible bilan d'une quinzaine dans ma pauvre commune. Des familles entières disparurent. Tel fut le cas de notre maison.
  Or en l'année suivante, 1855, ma grand mère étant depuis peu devenue veuve de mon grand père, dont elle était la 4ème épouse, quitta Noidant où elle habitait avec son mari et vint avec mon père, âgé seulement de 10 ans, habiter son pays natal, où elle avait encore de la famille; elle acheta cette masure et y vécut en attendant que papa fût à même de lui procurer des ressources lorsqu'il serait devenu grand. Je me représente la misère dans laquelle ils vécurent l'un et l'autre, n'ayant pour toute fortune que cet abri inconfortable, pour meubles que des menuiseries rustiques et sommaires et une literie rugueuse, pour domaine que des fragments de terrain grands comme des mouchoirs de poche, avec le "journal" attribué par la commune à tout ménage, et grevé d'une lourde redevance; un coin de vigne ingrate procurait à force de labeur une boisson dépourvue de tout ferment alcoolique. Et quelle vie frugale! quels prodiges d'économie! quel dédain de toute élégance vestimentaire! Ils vécurent ainsi une douzaine d'années jusqu'en 1867.
   Entre temps papa était en apprentissage chez le menuisier de l'endroit puis avait ébauché un tour de France qui l'avait conduit jusqu'à Sacquenay. Puis, brusquement la catastrophe s'était produite, ma grand mère était frappée de paralysie et demeurait avec son seul fils âgé de 22 ans pour soutien, pour gagne-pain, pour garde-malade et un fatal défaut de ressources. Quelle perspective d'avenir!
   Vint la guerre. Papa s'était marié en 1869. Quatre ménages habitaient la masure. Maman avait apporté une  maigre (Assorire?)  constituée surtout par une créance bien douteuse parce que son obligation de remboursement était contrariée par un devoir sentimental de ménagement. C'était sa propre soeur qui était la débitrice, et le codébiteur était le père de papa. Allez donc réclamer des intérêts à de tels parents encore plus pauvres. Maman avait un frère, extrêmement intelligent, modèle d'homme, bon affectueux, tendre, dévoué et dont l'affection fraternelle devait se traduire par une aide efficace spontanée et constante... Hélas! Les Prussiens l'ont tué, et mes parents perdirent ce (conseiller?)
   J'ai toujours gardé, au fond du coeur, un culte d'affection pour cet homme dont j'aurais dû être le neveu affectionné, et je lui fus extrêmement reconnaissant du bonheur qu'il m'eût procuré s'il eût vécu, comme s'il me l'avait donné réellement, tant le témoignage de bonté, de désintéressement, d'intelligence rare et modeste me furent (pr...gués) dans la suite, par ceux qui le connurent , l'apprécièrent et l'aimèrent. Certain livre d'un écrivain spirituel et mordant, J. B. Dupaty "5? lettres d'Italie" annotées par lui me révélèrent une âme sensible passionnée et un esprit très clair, une érudition plus expérimentale que livresque et en même temps la perte immense que fut pour moi sa disparition. Comme il eût guidé mes débuts dans la vie, construit mes premiers ans et veillé sur mon meilleur avenir!...
   Livrés à leur seule initiative, et nantis surtout de préjugés où dominaient une âpre ambition et une susceptibilité peu bienveillante, ardents au travail, mes parents entreprirent un labeur écrasant. Mon père qui, à la mort de son père, eut pour héritage total et passif 100 fr de dettes, et débuta par les gains de journalier au service des cultivateurs du pays fut hypothéqué par cette possession de la terre qui forme l'idéal étroit de tant de paysans. Son ambition, entretenue par ma mère, l'obligea à des travaux, des fatigues corporelles excessives. J'en pâtis extrêmement, car je discernai vite le mauvais calcul sur lequel se basait leur ambition, et souffris extrêmement de l'inefficacité du travail forcené auquel nous fumes tous soumis en vue de l'agrandissement terrien de notre patrimoine.
   Le mariage de mes parents avait été marqué d'un deuil qui, dans le cas particulier, fut un accident heureux. Papa avait une tante Soeur (...?) seulement de sa mère. Cette demi-parente, quoique très proche, fit que toute l'affection, dont son coeur de vieille fille - au moins jusqu'à un âge avancé - était capable, fut portée sur un neveu issu d'une soeur germaine. Ce neveu n'était pas un type d'homme bien sympathique à n'importe quel point de vue. Mais sa parenté totale explique cette affection exclusive. Ma tant, demeurée célibataire jusqu'à un âge indubitablement canonique, avait gagné au service de maîtres plutôt avares, vu ses modestes gages, des économies assez maigres. Elle se maria avec un réfugié vendéen Mr Augé, lequel était possesseur d'une belle fortune surtout pour l'époque: 200000 fr au moins. Ce magnifique patrimoine lui avait été donné par la famille de Simony, de (Rivière? l F en récompense de services énormes rendu par lui à cette famille lors de la guerre. Il avait, paraît-il, sauvé Mme (......?) de la guillotine en la faisant passer pour sa femme. D'où reconnaissance de la  (...?) dame. En recourant, il eut la générosité de léguer tous ses biens à ma tante. Celle-ci, à son tour, par un testament olographe légua tout ce qu'elle possédait à sa soeur consanguine, mère de ce neveu préféré: celle-ci eut le tort de décéder avant sa donatrice. Le testament dut être recommencé. Rendez-vous fut pris pour un jour déterminé. Les intentions de ma tante étaient formelles et non déguisées. Elle voulait faire en sorte que le testament, qui léguait tout à ma soeur, devenu caduc par le (pré?)décès de celle-ci fut établi selon la même inspiration de préférence c'est-à-dire en léguant le tout à son dit neveu, sauf à attribuer quelques legs particuliers et très modiques à ses neveux, fils de ses frères et soeurs extérieurs. Le notaire chargé de la rédaction et de la réception de l'acte ayant tardé, l'opération fut remise au lendemain. Dans la nuit, ma pauvre tante rendait l'âme à Dieu sans avoir pu indiquer ses nouvelles volontés et mon père redevenait l'héritier légal qu'il était selon le code, ce, au grand dam du neveu privilégié.




26/01/2010
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