Fransoize

Fransoize

A Paris (C'était en 1966)

A Paris

C'était en 1966

 

C'était en 1966

Huit jours. Voilà huit jours que les cours ont commencé à l'école de kiné à Paris, et

chaque matin, Jack vient me chercher en voiture, une toute petite voiture de ville. Nous

partons à l’hôpital où l'infirmière nous accueille avec son éternelle gentillesse. Elle nous a

même invités à dîner en fin de semaine.

A midi, nous mangeons au resto-u avec un autre élève de l’école, quatorze heures, les

cours, vingt heures, un sandwich (quand Jacques ne cuisine pas une entrecôte beurre blanc sur

son petit réchaud cabossé) et ensuite, révisions. Tous les trois, nous avons des manières

différentes de travailler. Jean Luc et Jacques rabâchent tout haut, par coeur l’anatomie

humaine, pendant que je dessine mes os, mes muscles et mes vaisseaux puisque j’ai surtout

une mémoire visuelle.

Le soir, mon chevalier servant me dépose devant chez moi et s’en va faire sa nuit de

garde dans un hôtel. C’est en effet lui qui paye ses études. Evidemment, j’en éprouve une

grande admiration.

Hier soir, je suis allée lui rendre visite. Paris est une grande ville calme, je peux me

balader dans les rues, seule, sans affronter de mauvaises rencontres, du moins, jusqu’à minuit,

une heure du matin. C’était amusant de le trouver là. Hôtel éteint, juste une veilleuse au

dessus d’une sonnette, petit coup discret et je découvre l’antre du « gardien ». Une chaise

longue derrière le comptoir, une couverture, le tout me semble bien inconfortable ! Je ne

m’attarde pas, nous ne sommes pas très à l’aise. Craint il de se faire surprendre et de perdre

son job ? Et moi, ça me fait tout drôle.

J’avais envie d’être libre, mais qu’est ce que c’est être libre ? Je savoure le fait que Jack

décide pour nous deux. Je ne connais rien à la vie, et puis il faut dire qu’au fil du temps qui

passe, nous nous découvrons des goûts communs, le théâtre, le cinéma, les mêmes comiques

nous font rire, les mêmes tragiques nous font pleurer. Main dans la main, nous arpentons

Paris, ses musées, ses magasins, ses monuments. La vie est belle.

*

Ma petite grand-mère propriétaire, ne me voit pas beaucoup et s’en plaint un peu mais

elle ne veut pas que quelqu’un vienne me voir, même pour travailler.

J’ai emmené Jack chez mes parents plusieurs week-ends car il est originaire de l'ouest

et c’est bien trop loin pour y retourner souvent.

Maman et papa le trouvent gentil, travailleur, sérieux et ne voient pas d’inconvénient à

ce qu’il me pousse à travailler

Jack loge à Paris chez des amis de ses parents. Il rentre chaque soir car ces personnes

âgées s’inquiéteraient. Je vais souvent travailler chez lui. Un jour, ces braves gens étant partis

chez leurs enfants, je suis allée déguster la fameuse entrecôte dont je n’ai jamais oublié le

goût.

Je ne suis pas rentrée ce soir là.

Les souvenirs de cette période sont merveilleux. Lorsque les propriétaires sont là et que nous

avons envie de nous retrouver, nous louons une petite chambre d’hôtel rue de Saint Ouen et

nous rêvons d’avenir.

Comme la vie me parait simple. Nous sommes amoureux, sans soucis……

*

Et Amour, nous vivons ce que vivent les Amours…. L’espace de……quelque temps..

Nous sommes heureux. Septembre, Octobre, Novembre, Décembre, les cours

succèdent aux stages, les stages succèdent aux courtes vacances et on repart pour les cours.

Les fêtes se terminent, le 2 janvier, il faut regagner Paris. Je suis patraque, mes règles

m’ont toujours rendue malade.

Je ne me pose des questions que vers la mi Février : rien depuis le 2 Janvier ! Mes

connaissances en anatomie féminine sont faibles, mais le doute n’est plus possible : je suis

enceinte

Vous n’imaginez pas l’époque. 1966. Aucun moyen contraceptif n’est reconnu par la

médecine. Que faire ? Jack panique. Son esprit de décision est en panne. Moi, je ne panique

pas, mais je ne sais vraiment pas quoi faire.

Maman. Je vais en parler à maman ! Sitôt pensé, sitôt fait.

Pas de grands cris, pas de larmes mais les sourires ont déserté les visages.

Médecin du bout de la rue : confirmation de la grossesse.

Médecin de famille : ne peut rien faire.

Je pense à Gégé. C’était un camarade de classe en terminale Science-ex. C’était

l’année dernière. Son père, gynécologue a été emprisonné pour avoir pratiqué des avortements

clandestins. Gérard s’est tiré une balle de fusil de chasse dans la bouche le soir où les

gendarmes ont emmené son père.

Personne ne m’a demandé si je voulais garder le bébé.

Si je me suis posé la question, je n’en ai rien dit.

Je me suis retrouvée en visite chez un médecin ami de mes parents, un soir, très

tard, ambiance feutrée, mots confus, murmurés, examen gynécologique, sensation de douleur

furtive, sortie par la petite porte et l’index sur la bouche : shutt !!

Ça n’a pas marché, le flot sanguin attendu n’est pas venu. J’ai peur, j’ai mal, j’ai

chaud. Je ne cherche surtout plus à réfléchir, d’autres le font pour moi. Paris, pour l’école, le

médecin a fait une ordonnance pour cholécystite. Je peux m’absenter sans qu’on me pose des

questions.

D’autres amis rassurent mes parents. Il y a des solutions ! Paris,

''Rue Saint Denis, cent mètres dans la rue, un porche, une sombre cour pavée, cinq

portes, prendre la troisième à partir de la gauche''

Le ciel est gris, c’est encore l’hiver. Il est à peine sept heures du matin.

On entre directement dans la pièce, mi salon, mi cuisine. Tout est brouillard.La

femme porte un vieux tablier, comme ma grand mère, je ne la vois pas bien, je l'entends

« Enlève ta culotte, allonge toi sur la table » On dirait la table de cuisine, je m’allonge à

même la toile cirée, à moins que la femme ait mis un drap propre, je ne sais plus.

« Plie les genoux, écarte les jambes. Mais qui c’est qui m’a foutu un boulot pareil. Il

était grand temps d’venir. Vot’toubib, il a fait du sale boulot. Va falloir nettoyer ça. J’vous

donne l’adresse d’une clinique qui pos’ra pas d’questions si vous payez cash en liquide. Vous

dites que vous v’nez d’la part d’Georgette. Voilà, c’est fait. C’était un p’tit garçon »

« Aur’voir m’ssieurs-dames, j’vous ai jamais vus »

Moi, c'est les billets qu’elle a empochés que je n'ai jamais vus,

et personne n’a jamais reparlé de Georgette

Course en voiture jusqu’à la clinique, j’ai de la fièvre. Accueil chaleureux, pas de

questions, brancard dans un couloir. Piqûre pour m’endormir, curetage, antibiotiques.

Surprise au réveil : Jack est auprès de moi et me fixe. Un de ces regards qu’on ne

voit en général que dans les films d’Amour avec un grand A. Un profond regard bleu, un

sourire à vous faire éclater le coeur, et sa main qui vient caresser la mienne.

J’aime le souvenir de ce regard. Il a existé. Un vrai souvenir d’Amour !!

Convalescence chez mes parents puis retour à l’école, les examens sont en Juin et

j’ai manqué presque trois mois !!!!! Trois mois de vie que je dois oublier.



27/09/2013
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